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La deuxième vie d'un canapé




Quelle aventure ! Me voilà dans une grande salle, au milieu d’autres meubles, tandis que des personnes s’agitent autour de moi avec balais et chiffons, coachés avec énergie par une certaine Rahel. Franchement, je trouvais l’endroit déjà très propre mais apparemment, ici, on traque le moindre brin de poussière. On dirait qu’ils attendent du monde. J’espère qu’ils vont me laisser un peu tranquille parce que, à mon âge, j’aspire à un peu de calme. Mais je doute ; j’ai cru entendre un certain Jérôme expliquer à un visiteur qu’ici « on offrait une nouvelle chance aux hommes et une deuxième vie aux objets ». Donc, moi, le canapé confortable qui a déjà vu tant de postérieurs se poser sur moi, je crois bien que l'aventure ne fait que commencer... ils vont "m'offrir" une deuxième vie !?


Vous savez, je vivais une vie heureuse dans un pavillon coquet des environs des Mureaux ; mais quand les enfants sont partis les uns après les autres, tout a basculé : un jour, Madame propose à Monsieur de déménager dans un appartement, de « prendre plus petit », en se « débarrassant » de quelques meubles, dont le canapé, c’est-à-dire moi !!!



À partir de là, tout s’est enchaîné très vite. Ils ont trouvé un nouveau logement et ont commencé à parler d’une association, « La Gerbe », qui pourrait venir prendre les meubles dont ils n’avaient plus besoin. Et voilà Madame en train de prendre rendez-vous avec « Ninie » : « Oui, oui, il est en bon état » (je rêve, c’est de moi qu’elle parle comme ça, après toutes ces années de bons et loyaux services ?)


Deux semaines plus tard, voilà un camion au bout de l’allée, trois hommes en descendent : l’un, plus âgé (le chauffeur, un bénévole) et deux plus jeunes (j’aurais dit un Afghan et un Tibétain, des salariés en insertion), très polis certes, mais ils m’ont quand même embarqué sans me demander mon avis. On a roulé jusqu’à Ecquevilly, on m’a déposé dans un premier entrepôt, sous les regards d’un grand gaillard blagueur, un certain Ivan, on m’a pesé, puis un dénommé Michaël a expliqué à Ivan qu’en Roumanie en ce moment, les partenaires n’avaient pas besoin de ce type de canapé. (Aïe ! Vais-je finir à la benne ?) Non, selon eux, je pouvais encore servir (non mais des fois, évidemment, que je peux servir !) et on allait me mettre en vente (là, j’ai pas trop compris). Ensuite, on m’a emporté dans cette immense salle dont je vous ai parlé, où le dénommé Jérôme (vous savez, celui qui a toujours un petit mot gentil pour chacun) motive son équipe à bien nettoyer avant l’ouverture, à bien accueillir le public.



Bon, j’espérais bien rester un peu tranquille dans cette salle, enfin ce magasin (ils disent la « ressourcerie »), parce que, franchement, l’ambiance est sympa et, comme ils travaillent tous, ils n’ont pas le temps de s’affaler sur moi ! (La belle vie, quoi !). Mais quand j’ai entendu les « bénévoles » demander au chef à combien on mettait le canapé, j’ai compris que cette vie-là n’allait pas durer longtemps…

Effectivement, ils m’ont collé une étiquette avec un prix. Et le lendemain, à 14h précises, ils ont ouvert les portes, une foule s’est précipitée (enfin, ça, c’était avant le Covid !), une dame a dit à son mari : « Oh, regarde ce canapé comme il est beau » (oui, oui, je sais, on me l’a déjà dit !) ; un jeune employé m’a collé une étiquette « vendu », au moment même où un monsieur me repérait et faisait la tête car il avait loupé « une super affaire » (eh oui, toujours moi !).


Alors mon passage ici n’aura pas duré longtemps… mais « ma deuxième vie » s’annonce plutôt bien, non ? Quand je pense que j’aurais pu finir dans une benne après avoir été jeté sur un trottoir, je me dis qu’à La Gerbe, même si leur priorité est « d’offrir une nouvelle chance aux hommes » (d’ailleurs, il paraît qu’ils ont plein de sorties positives dans leur chantier d’insertion), eh bien, ils s’occupent aussi bien des objets !

Anne Prohin



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