A l’occasion de la Journée Mondiale de la Sage-Femme, nous vous présentons Carine et Anne-Cécile. L’une est allemande, l’autre est française, toutes deux sont sages-femmes et ont été bénévoles à l’Hôpital Otema, à Lodja, au cœur de la République Démocratique du Congo. Dans ce pays où l’accès à la santé maternelle est limité, les deux jeunes femmes ont découvert une autre façon de pratiquer leur métier, dans un autre contexte.
Partie 2 : CARINE
C’est juste après la fin de ses études de sage-femme que Carine est partie à l'hôpital Otema : « je voulais commencer ma vie professionnelle dans un autre cadre, voir d’autres horizons ». Partie en 2020 pour un séjour de trois semaines, elle a dû rester trois mois sur place suite aux mesures prises face à l’arrivée de la Covid-19 : « finalement j’en suis contente car trois semaines auraient été trop courtes ».
Ayant déjà effectué des séjours en République Démocratique du Congo, Carine connaissait la capitale du pays, Kinshasa : « entre Kinshasa et Lodja, il y a une grosse différence; depuis Lodja on a l’impression que Kinshasa est un luxe».
Ce qui l’a le plus marquée dans la culture, c’est la perception que les personnes avaient d’elle : « 4 Carine sont nées pendant mon séjour, c’est un honneur de voir que l’on nomme des enfants d’après toi […] Si je me promène avec quelqu’un dans la rue, on lui demande pourquoi il me fait marcher au soleil! Les gens voulaient faire des photos avec moi, les femmes étaient fières d’être accouchées par une « blanche »! […] J’étais connue dans la ville, les enfants m’appelaient par mon nom. Je me sentais parfois comme la reine d’Angleterre, on me saluait et je faisais signe à tout le monde. » Plus largement, « on s’adapte sur tous les plans : alimentaires, interactions, surtout si on part sur une longue durée et seul ».
Concernant la pratique, elle a pratiqué davantage de suivis de grossesses et d’accouchements qu’Anne-Cécile, avec qui elle avait échangé. En effet, le service de maternité a ouvert entre-temps : « Je n’ai pas chômé, dès le premier jour il y a eu une naissance, puis il y en a eu tout plein. J’espérais en voir une ou deux, en fait il y a eu beaucoup de suivis de grossesses et de naissances durant cette période. » Elle a donc pu découvrir d’autres façons de pratiquer son métier : « j’ai gagné de l’assurance dans les consultations avec les femmes enceintes, j’ai réussi à me fier à ce que je sens avec mes mains, car là-bas il n’y a pas autant d’outils électroniques. J’ai même pu détecter des jumeaux en touchant le ventre d’une femme qui n’avait pas fait d’échographie durant sa grossesse. J’ai touché beaucoup de ventres différents et j’ai appris à détecter des choses avec d’autres méthodes que celles que j’utilise en Allemagne où je suis dans le confort des outils. »
Mais pratiquer la médecine en République Démocratique du Congo, c’est aussi voir des choses difficiles : « j’ai été impressionnée par la force des femmes, enceintes, avec parfois des jumeaux, qui travaillent aux champs, qui font des kilomètres à pieds... et qui ont vécu des choses difficiles, ont perdu plusieurs enfants et vivent encore joyeusement, dans la confiance en Dieu, qui acceptent la souffrance sans être amères. » Elle a donc dû trouver le juste positionnement, entre distance et proximité, dans sa pratique : « ce sont d’autres standards d'hygiène et de soins, un autre système sans assurance maladie : beaucoup de gens souffrent et n’ont pas tous les soins comme nous en Europe. Savoir comment les choses fonctionnent au Congo aide à prendre du recul, car si on s’identifie, on souffre avec eux donc on craque, on n’a plus de plaisir à travailler. […] Tu peux vraiment sauver des vies, tu es vraiment tout proche des vies que toi ou l’hôpital sauvez juste au bon moment. Il y a des accidents graves, des accouchements dramatiques avec un besoin de césarienne en urgence : c’est satisfaisant de savoir que l’hôpital Otema sauve vraiment des vies. C’est différent en Europe car les gens ne sont pas si proches de la mort. On peut vraiment aider les patients à recommander une nouvelle vie, ils restent longtemps donc on les connait – on a besoin d’être sûr qu’il n’y a pas d’infection car les patients ne reviennent pas à l’hôpital. »
Mais Carine ne s’est pas seulement contentée de pratiquer sa spécialité à Otema : « c’est important d’aussi apporter des choses, j’ai appris des pratiques aux infirmiers et j’ai mis des choses en place pour améliorer la propreté. Tout cela sera utile même après mon départ. ». Cela fait partie des conseils qu’elle donne à quelqu’un qui voudrait vivre une expérience similaire : « il ne faut pas se mettre de vision en tête, partir avec l’idée que tu vas tout changer car tu n’es pas là aussi longtemps que ceux qui y vivent. Il ne faut pas se mettre de pression dès le début mais chercher à faire des petits trucs qui pourront avoir un impact même après départ. Par exemple, j’ai participé à la réorganisation de la pharmacie suite au changement de locaux : on a pu trier les médicaments, établir un classement, prendre ce qui était dans le dépôt pour que ce soit utilisé. Je sais que ces pratiques vont continuer. Il faut aussi être ouvert à faire des choses qui ne sont pas dans son domaine car sinon tu vas t’ennuyer en attendant les femmes qui accouchent. » Elle ajoute : « il faut un mois pour s’habituer au contexte et vraiment travailler. Il faut être prêt à l’aventure et à l’imprévu. Pour ma part, je garde un bon souvenir de ces trois mois, je n’ai aucun regret. »
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